Extrait du prologue

Le rêve débutait toujours de la même façon. Habillée d’une robe digne des plus grands contes, j’arpentais le couloir désert d’un château. J’aurais dû être perdue dans cette immense bâtisse, mais ces lieux me paraissaient familiers. Pourtant, mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Mon dos était glacé de sueur. Je me sentais épiée, poursuivie par une présence invisible. J’étais comme un animal pris en chasse et cette idée me donnait la chair de poule.

La lumière des candélabres se reflétait sur les parois obscures du château, rendant les ombres plus changeantes et plus menaçantes. On entendait le fracas des armes qui s’entrechoquaient, témoins de la férocité des combats et de la vague de violence qui avaient envahi les lieux. Je sentais le danger à chaque détour et à chaque embranchement.

En d’autres circonstances, la bâtisse aurait pu être accueillante avec ses hautes fenêtres cachées sous de lourdes draperies, ses tableaux représentant des paysages inconnus ou le portrait de mes ancêtres. Je pouvais facilement imaginer l’extravagance des fêtes qui avaient pu animer le château. Mais pour l’heure, je courais dans un couloir désert, me fiant à mon instinct, car la pénombre ne me permettait de voir qu’à quelques mètres autour de moi. Je peinais à maintenir l’allure, sous la pression de l’effort. Je n’avais jamais été douée pour le sport. Que ce soit dans mes rêves ou dans la réalité, cela ne changeait pas. 

J’avais beau me rassurer que tout ceci ne représentait pas un vrai danger, ma peur prenait le dessus comme un serpent s’enroulant autour de sa proie jusqu’à l’étouffer. Ma course parut durer une éternité dans ce dédale de pierres jusqu’au moment où, après un dernier tournant, j’arrivai devant une porte familière. 

C’était un ouvrage en bois sculpté d’un rouge profond et surmonté d’un symbole représentant un phénix déployant ses ailes. Je l’ouvris et pénétrais dans une chambre dont la décoration témoignait de la richesse de son occupante. Cette pièce était mon refuge. J’avais choisi avec minutie chaque détail qui la constituait du lit recouvert d’un édredon moelleux à l’armoire couleur coquille d’œuf, en passant par la commode peinte en blanc et au lustre de cristal. Je me sentais en sécurité même si je savais ce répit de courte durée. 

Ce n’était pas la première fois que je faisais ce rêve et je savais pertinemment comment il finissait. Pourtant, je gardais toujours l’espoir d’être sauvée. Mais l’ennemi était en approche, j’entendais déjà le bruit de ses pas qui m’amenait à une cruelle vérité : si je devais m’en sortir, je ne devais compter que sur moi-même. 

Je me mis donc à la recherche d’une cachette afin d’échapper à mon poursuivant. Mes nombreuses tentatives s’étaient toujours soldées par un échec. Heureusement, le cauchemar se finissait toujours au moment où j’étais découverte, me laissant totalement hébétée dans mon lit, mais en sécurité dans le monde réel. Par dépit, je tentais de me cacher dans la penderie. 

Ce faisant, je passai devant un miroir sur pieds qui me renvoya l’image d’une princesse affublée d’une robe dans des tons rose-pastel et dont la chevelure évoquait un alliage d’or et de cuivre. On aurait pu être jumelle à la différence qu’elle n’était pas une lycéenne en jeans et baskets, cherchant à se fondre dans la masse. Dans la réalité, je cherchais à devenir invisible. La personne qui me faisait face était à l’opposé. Outre ses vêtements royaux, sa beauté était à couper le souffle. Son port altier et la délicatesse de son teint allaient de pair avec l’image d’une héroïne de conte de fées. 

Sauf que dans les histoires, la demoiselle en détresse était toujours secourue par un prince ou un chevalier en armure de fer blanc. On ne parlait jamais d’un château lugubre où une princesse était poursuivie au milieu de couloirs déserts.